Conduit avec intelligence par la femme de culture Wahida Dridi, le festival Layali El Abdellia avance à pas sûrs en prenant des risques et en misant sur la musique savante ; au moins une fois à chaque édition.
Au sein de la masse musicale proposée dans l’ensemble des différentes scènes de notre pays, certains festivals gardent intact le souci de privilégier une musique de qualité où le spectateur qui y assiste apprend quelque chose et ne rentre pas bredouille ; uniquement en dépensant de l’effort physique, de la sueur et en s’agitant ; même si cela est important aussi et est sans le moindre doute un signe de vie. Dans cette veine, un événement remarquable a été envisagé et réalisé dans le magnifique lieu du Palais hafside d’El Abdellia à La Marsa le 23 juillet dernier. Celui-ci mérite d’y revenir. Globalement, ce festival, déjà dans sa huitième édition consécutive, commence à attirer peu à peu le public du territoire de la banlieue nord principalement. Dans cette perspective, être acteur culturel de cet espace étroit est en réalité synonyme de militantisme culturel d’autant plus que la plupart du temps, le budget alloué ne dépasserait pas les 150 mille dinars. Dans certains festivals, c’est encore moins. Pour El Abdellia, le défi était ainsi de mettre en place 11 manifestations culturelles drainant des spectateurs. On peut dire que c’est un pari réussi !
Conduit avec intelligence par la femme de culture Wahida Dridi, connue par nos concitoyens grâce à son rôle dans le feuilleton Wled Moufida diffusé lors du mois de Ramadan, le festival avance à pas sûrs en prenant des risques et en misant sur la musique savante ; au moins une fois à chaque édition. Cette fois-ci donc, cette musique a été recréée par une partie des membres de l’Orchestre et Chœur de l’Opéra de Tunis. Cet orchestre est nouvellement fondé, en avril 2018, à la suite de la mise en place de la Cité de la culture en mars 2018.
Un orchestre jeune et prometteur
Le décor était minimaliste. Temps beau. Une certaine fraîcheur et clémence du temps étaient de mise. L’équipe est composée d’une poignée de violonistes, une pianiste et cinq choristes. Ces derniers montent sur scène à tour de rôle. A vrai dire, ce peu de moyens n’a pas empêché l’émergence, au fil des airs interprétés, d’une ambiance, allant devenir au fil des notes, mémorable, belle tant physiquement que moralement grâce à une ingénierie du son bien maîtrisée ; ce qui n’est pas toujours le cas de tous les événements culturels et artistiques. La prestation de l’ensemble de l’orchestre, sous la direction discrète de Hichem Amari, était, en l’occurrence, une remémoration et un enjeu des compositions les plus connues des opéras du monde occidental. A ce titre, ce spectacle récite des romances qui avaient bercé notre enfance, voire notre adolescence lorsque nous regardions des films à titre d’exemple; sans toujours connaître l’auteur. C’est le cas par exemple de Duo des fleurs, entendu, personnellement, pour la première fois dans Carlito’s Way, le chef-d’œuvre du réalisateur américain Brian De Palma en 1993. Il aurait fallu donc attendre ce spectacle pour se rendre compte que cet air est du compositeur français Clément Philibert Léo Delibes connu surtout par les deux derniers noms cités. Ce morceau fut ainsi composé en 1883 et il est bel et bien une partie de l’opéra de Lakmé.
En outre, le programme était d’une richesse inouïe avec des voix féminines regorgeant de tendresse, de jouissance et de désir. Ces jeunes et belles femmes ont interprété des airs de musique, tels que Lacrimosa de Mozart, Oh quante volte du compositeur italien, décédé jeune à l’âge de 33 ans, Vincenzo Bellini ou encore Les oiseaux dans la charmille du compositeur Jacques Offenbach. L’air joué est connu sous le nom d’Air de la Poupée. Il exige, en effet, un jeu assez ludique, décalé et ironique, le tout dans la finesse que la jeune soprano Fatma Gabsi avait bien réussi avec une grande maîtrise vocale. Aux côtés des femmes, à savoir la soprano citée, Maram Bouhbel La mezzo et Amina Baklouti la soprano également, il y avait un ténor, à savoir Hatem Nasri, et un basse, à savoir le Malgache Talenda Dumba. Ce dernier a fait une très bonne prestation et était bien en harmonie avec le groupe. En l’occurrence, Hatem Nasri avait joué avec brio, entre autres, Pourquoi me réveiller de Jules Massenet. Celui-ci est un morceau de l’opéra intitulé Werther, composé en 1892, inspiré du roman du fameux Goethe. Quant à Talenda Dumba, le basse, il a joué la chanson mythique interprétée même par Frank Sinatra I Got Plenty o’ Nuttin dont le compositeur est George Gershwin en 1935. Elle est du genre « folk-opéra » c’est-à-dire de l’opéra populaire, accessible et léger.
Les instruments et leur disposition sur scène
Dans une atmosphère familiale dont le seul palais El Abdellia a le secret, avec un éclairage mélangeant le bleu et le rouge romantique des nuits célestes, de gauche à droite, apparaissent trois violons disposés juste derrière les chanteurs; par la suite, on trouve le violoncelle, un alto, une contrebasse et vers la droite se situe la pianiste magnifiquement installée avec son instrument Nesrine Zemni. Celle-ci faisait vraiment l’âme du spectacle et a su insuffler un rythme très doux, mélodieux et subliminal. Le groupe était très convivial et il y avait une grande discipline et un haut respect du répertoire musical mis en spectacle sans aucun rajout ni répétition. Le public, en effet, a été, à vrai dire, emporté durant une heure vingt minutes. A la fin du spectacle, Fatma Gabsi, la soprano, déclare : « Energie, émotion, symbiose!
Tant de virtuosité dans un si petit espace.
Des moments de pur bonheur, beaucoup d’art et plein d’amour étaient dans ce spectacle et avec le public. Très heureuse d’avoir partagé la scène avec ces artistes, chanteurs lyriques et musiciens qui ne cessent de déployer des efforts apportant autant de joie et ensorcelant les petits comme les grands. Mille mercis à toutes et à tous pour ce magnifique projet et ce beau travail d’équipe, et surtout un grand merci aux organisateurs de Layali el Abdellia et à tous ceux qui ont contribué à la réussite du spectacle».
Manifestation encore à faire et refaire d’autant plus que l’orchestre à fait montre de professionnalisme et d’une technicité parfaite. Ce genre d’événement est en réalité susceptible d’habituer nos concitoyens à la musique du monde et aux chefs-d’œuvre universels et qui inspirent nos artistes et les artistes arabes, tels que la grande Fairouz, sans que ceux-ci l’avouent toujours.
Mohamed Ali Elhaou